Année après année, des centaines de médecins et d’experts en santé publique québécois demandent aux différentes institutions de planter plus d’arbres pour augmenter la canopée urbaine. Avec raison, ils s’appuient sur de nombreuses études démontrant les multiples bienfaits des arbres sur la santé des collectivités. Dans ce contexte, il est important de s’assurer que la canopée urbaine soit résiliente aux perturbations présentes et futures, afin de garantir les bénéfices du couvert forestier à long terme sur la collectivité. Des leçons peuvent être tirées là-dessus en regardant ce qui s’est passé avec nos ormes et nos frênes disparus.
[En couverture: Photo historique : Dans les années 1950 à Montréal, c’est environ 35 000 ormes qui ont été décimés – vue du parc Jarry à l’époque (à gauche) et de nos jours (à droite). Source: Archives de Montréal et Google Street View]
Commençons par la base; la résilience c’est quoi exactement? En écologie, on parle de la « capacité d’un écosystème à résister et à survivre à des altérations ou à des perturbations affectant sa structure ou son fonctionnement, et à trouver, à terme, un nouvel équilibre » (Commission générale de terminologie et de néologie). Un des bons exemples d’une forêt à faible résilience, on le vit en ce moment, c’est l’arrivée d’un ravageur forestier exotique comme l’agrile du frêne (Agrilus planipennis) dans une forêt urbaine composée en majorité de frênes; le garde-manger idéal, quoi. Réchauffement changement climatique aidant, l’agrile se répend vers le nord comme une traînée de poudre. Les menaces sur le couvert forestier sont présentes et la forêt urbaine n’était pas prête à y faire face; elle manquait donc de résilience. Résultat : on se retrouve avec une quantité d’abattage et de plantation d’arbres jamais vue, près de 45 000 frênes à abattre en l’espace de quelques années. En fait, ce n’est pas tout à fait du jamais vu : vers le milieu du siècle dernier, un insecte exotique est apparu, le scolyte européen de l’orme (Scolytus multistriatus) et avec lui, un champignon (Ophiostoma ulmi) qui tua 35 000 ormes à Montréal seulement. Vous voyez le parallèle avec ce que subissent présentement nos frênes… Dans les 2 cas, on avait à faire avec une forêt urbaine qui manquait de résilience, et ce, même si les frênes et les ormes étaient parmi les espèces les mieux adaptées au milieu urbain.
La biodiversité quoi?
Une partie de la solution avait été mise de l’avant par le chercheur Frank Santamour Jr. en 1990 [1], qui a émis des recommandations sur la variété et la représentativité des espèces en se basant sur leur classification taxonomique. Pour réduire la perte de la canopée lors d’une épidémie future, Santamour suggérait qu’aucune espèce ne représente plus de 10 % des arbres d’un territoire (ex : le frêne de Pennsylvanie, Fraxinus pennsylvanica), qu’aucun genre ne représente plus de 20 % (ex : Fraxinus) et qu’aucune famille ne représente plus de 30% de tous les arbres présents (les Oléacées, dans le cas des frênes).
En fait, au-delà de la simple biodiversité dite spécifique mise de l’avant par Santamour – un terme presque passé de mode de nos jours – on a réalisé que ce que l’on cherche réellement, ce sont des écosystèmes qui résistent aux différentes menaces environnementales. L’arrivée de l’agrile du frêne a mis de l’avant un concept qui est aujourd’hui en voie de devenir la norme : la biodiversité fonctionnelle. Pour ce faire, on ne veut pas seulement une variété d’espèces, mais une variété d’espèces ayant des capacités de réponses différentes face à leur environnement. On parle alors de diversité fonctionnelle. C’est devenu, de nos jours, l’approche privilégiée afin de prémunir nos forêts urbaines des différentes menaces qui planent sur elles, car on le sait maintenant, certaines menaces encore inconnues risquent de se présenter à nous avant longtemps…
La diversité fonctionnelle a été décrite par l’éminent chercheur David Tilman en 2001 [2] comme étant la variété et l’abondance des différentes caractéristiques des organismes influençant leur performance dans une communauté (traits fonctionnels). Ces traits peuvent être des caractéristiques morphologiques (les traits physiques d’une plante), physiologiques (l’organisation et le fonctionnement d’une plante) ou phénologiques (l’évolution, souvent annuelle, du fonctionnement d’une plante). Ceux-ci peuvent varier en réponse à l’environnement des végétaux et influencent la résistance de l’arbre face aux stress environnementaux. Puisqu’aucune espèce d’arbre ne peut résister à tous les stress, les recherches tendent à démontrer qu’un écosystème comprenant une plus grande représentativité de différents traits fonctionnels offre une plus grande stabilité face aux perturbations [3].
La figure suivante illustre bien que la diversité en espèces à elle seule n’est pas synonyme de complexité et de résilience chez une communauté végétale. Dans cet exemple, pour un même niveau de diversité spécifique, il est facile d’observer lequel des deux écosystèmes présente la plus grande diversité fonctionnelle (en termes de traits morphologiques dans ce cas-ci).
Les groupements fonctionnels, ça fonctionne!
Plusieurs recherches récentes ont transposé le concept de diversité fonctionnelle à la forêt urbaine [4]. Une grande diversité fonctionnelle à l’échelle des quartiers, parcs et boisés urbains est importante afin d’assurer leur résilience face aux perturbations futures. Afin de mettre sur pieds une méthode aussi simple que les ratios de Santamour, mais plus représentative du fonctionnement des écosystèmes, l’approche par groupe fonctionnel a été développée [5]. Les espèces y sont regroupées selon leurs ressemblances en termes de traits fonctionnels, ce qui signifie que chaque espèce d’un même groupe fonctionnel génère un impact similaire sur l’écosystème. Au Québec, les chercheurs Alain Paquette et Christian Messier ont classifié les différentes espèces d’arbres en 10 groupes fonctionnels (tableau suivant). Cette classification peut donc être utilisée pour mesurer et comparer la diversité fonctionnelle de différents territoires ou à différentes échelles d’un même territoire (ex : rue, quartier, ville). Cette méthode permet également d’identifier les lacunes d’un territoire en termes de diversité fonctionnelle et de dresser une liste détaillée d’espèces à favoriser afin de maximiser la résilience de la forêt urbaine.
Dans un monde idéal, puisque l’ensemble des traits fonctionnels est représenté par ces 10 groupes, chaque groupe fonctionnel devrait compter pour approximativement 10 % des arbres d’un même territoire. En d’autres mots, les efforts de plantation ou de remplacement devraient être orientés de manière à augmenter la représentativité des groupes présentant une proportion inférieure à 10 % du total des arbres d’un territoire. À l’inverse, les espèces dont les groupes déjà présents sur le territoire présentent une proportion supérieure à 15% des arbres devraient être évitées.
Maintenant que nous avons perdu une importante proportion de nos arbres urbains aux mains de l’agrile du frêne, le mieux qu’il nous reste à faire est de voir cette situation comme une opportunité nous permettant de retrouver un équilibre fonctionnel dans notre forêt urbaine. Il faut dorénavant prévoir nos aménagements en termes de diversité – fonctionnelle, s’il vous plaît – et non plus en termes de simplicité comme par le passé. Combien de fois a-t-on vu des alignements d’une seule espèce le long des boulevards ou, de nos jours encore, dans les nouveaux développements résidentiels. Ce sont des cibles de prédilection, et ce, même sans la présence de ravageurs exotiques; les concentrations élevées d’une même espèce ont généralement la tendance à attirer davantage d’insectes nuisibles, qu’ils soient indigènes (provenance locale) ou exotiques. C’est un constat relativement récent que partagent les domaines de la foresterie, l’agriculture, l’horticulture et probablement plusieurs autres : tout le monde sort gagnant à miser sur la diversité des espèces.
En terminant, rappelons que les bénéfices des arbres, tels que rapportés par les chercheurs et médecins [6] [7], sont surtout apportés par les arbres de grande taille et vue la rudesse de nos environnements urbains, il faudra en prendre soin tout au long de leur vie. C’est donc dire que pour prendre soin de nous, les arbres ont besoin qu’on prenne soin d’eux, c’est gagnant-gagnant! Quand on y pense, assister les arbres, ça implique tellement de chose, mais pourtant, la plupart des gens peut avoir l’impression que si les arbres ne demandent pas de soin en forêt (ce qui n’est pas tout à fait vrai, selon les objectifs de l’aménagement), ils ne demandent pas davantage de soin en contexte urbain… Toutefois, c’est tout le contraire, parce que les arbres isolés sont soumis à davantage de stress qu’en forêt et à cela s’ajoutent les divers polluants qu’on retrouve surtout en milieux urbains. C’est exactement le rôle d’un expert en foresterie urbaine, de faire prendre conscience des besoins de nos arbres urbains. Par contre, si une majorité de résidents et intervenants avaient en tête tout ce qui guète nos arbres, sans aucun doute nous pourrions profiter d’une plus grande canopée urbaine et tout le monde s’en trouverait mieux! Qu’on se le dise!
1] Santamour Jr, F. S.,1990. Trees For Urban Planting: Diversity Uniformity, and Common Sense. METRIA 7: Proceedings of the Seventh Conference of the Metropolitan Tree Improvement Alliance (pp. 57-66). Lisle, IL: Morton Arboretum
[2] Tilman, D., 2001. Functional diversity. Encyclopedia of biodiversity, 3(1), 109-120
[3] Manes, F., G. Incerti, E. Salvatori, M. Vitale, C. Ricotta, and R. Costanza. 2012. Urban ecosystem services: Tree diversity and stability of tropospheric ozone removal. Ecological Applications 22:349–360
[4] Nock, C. A., Paquette, A., Follett, M., Nowak, D. J., & Messier, C., 2013. Effects of urbanization on tree species functional diversity in eastern North America. Ecosystems, 16(8), (pp.1487-1497)
[5] Mason, N. W., Mouillot, D., Lee, W. G., & Wilson, J. B., 2005. Functional richness, functional evenness and functional divergence: the primary components of functional diversity. Oikos, 111(1), 112-118.
[6] https://www.journaldemontreal.com/2019/11/24/des-medecins-reclament-beaucoup-plus-de-place-pour-la-vegetation-en-ville-1
[7] https://www.tvanouvelles.ca/2020/02/20/verdir-les-villes-pour-vivre-en-meilleure-sante-plaident-600-medecins